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Le retour spectaculaire et tragique de l'histoire

Il faudra donc compter sur des pays comme le Canada et d'autres en Europe pour convaincre les populations que les valeurs de la démocratie libérale valent la peine d'être promues et encouragées. Le défi est de taille.
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En 1989, dans le contexte de la chute du mur de Berlin le commentateur politique américain Francis Fukuyama écrivait son fameux ouvrage La fin de l'histoire. Il y soutenait qu'avec le démantèlement de l'URSS disparaissait la compétition idéologique, que les démocraties libérales sortaient victorieuses car elles apportaient protection des droits de la personne, la primauté du droit et la croissance économique. Un monde unipolaire succédait au bipolaire de la guerre froide. Il prévoyait aussi que notre modèle allait se multiplier à travers le monde.

Un peu plus d'un quart de siècle plus tard, où en est-on? Pour la politologue canadienne Jennifer Welsh, qui a notamment oeuvré aux Nations Unies et qui enseigne à la Chaire de relations internationales de l'Université de Florence, en Italie, la réponse est que l'histoire est loin d'être terminée et qu'elle nous rattrape rapidement.

Dans son récent ouvrage The Return of History, Conflict, Migration and Geopolitics in the Twenty-First Century* elle décrit comment la situation mondiale actuelle contredit la thèse de Fukuyama et que c'est plutôt le chaos qui s'installe. L'avenir de nos démocraties est menacé par des développements récents sur la scène internationale tels que le conflit en Syrie, le terrorisme et les vagues migratoires notamment. Mais l'incroyable enrichissement d'un petit nombre d'individus au-delà de l'acceptable et l'apparition de politiciens populistes surfant sur la vague du rejet, de l'intolérance et que le peuple a perdu le pouvoir aux mains des «élites» sont toutes aussi préoccupantes.

Welsh traite principalement de quatre situations qui minent notre avenir démocratique:

1) le retour du « barbarisme » avec un droit humanitaire international bafoué alors que les populations civiles sont de plus en plus victimes des affrontements entre États ou impliquant des groupes non-étatiques. Les Conventions de Genève et ses protocoles additionnels développés au cours de plusieurs décennies sont sciemment violés. D'autre part, les groupes État islamique et Al Qaida exportent leur vision apocalyptique et violente de l'islam en utilisant des méthodes modernes de propagande. Ils ont habilement su harnacher les frustrations d'individus à l'égard de l'Occident.

2) la vague actuelle de réfugiés d'une ampleur historique. Welsh note qu'au cours de la période 2011-2015, le nombre de personnes forcées de trouver refuge, à travers le monde, est passé de 42,5 millions à 65,3 millions. En 2015 seulement, 12 millions de personnes furent nouvellement déplacées à cause de conflits ou de persécution. Une grande partie est composée d'enfants. Alors que le monde devrait accroître ses efforts pour y faire face, elle provoque au contraire la fermeture des frontières et un renforcement des politiques anti-migratoires.

3) une nouvelle guerre froide avec une montée de la tension est-ouest dans le contexte de l'annexion de la Crimée par le Russie et le conflit syrien. Il ne s'agit plus cependant d'un affrontement entre capitalisme et communisme mais d'une part la résurgence de Moscou sur la scène internationale après des années de frustration. La Russie pousse ses pions géo-stratégiques. Elle souligne aussi l'attrait pour certains politiciens occidentaux de notion de sovereign democracy développée par Poutine qui allie nationalisme et démocratie « contrôlée ».

4) le déséquilibre croissant de la distribution de la richesse, aux États-Unis en particulier. La marge entre riches et pauvres dans la majorité des pays de l'OCDE est la plus élevée en 30 ans. La richesse du « 1% » ne cesse de s'accroitre et cette situation est porteuse de troubles et d'instabilité car, contrairement à la thèse véhiculée par certains de ses défenseurs, tout cet argent accumulé par très peu d'individus ne « percole » pas dans le reste de la société. La classe moyenne est perdante et la croissance économique profite à un groupe restreint d'individus qui contrôlent le système. La notion de justice perd alors tout son sens. Cette situation d'inégalité frustre ou démobilise ceux qui croyaient que le concept de démocratie libérale profitait à tous.

Comment réagir face à ce constat peu réjouissant? Welsh se fait l'avocate de l'adaptation du droit humanitaire international aux nouvelles réalités, d'une approche plus ouverte des pays riches vis-à-vis des réfugiés et de la notion de leur nécessaire protection et d'une responsabilité des individus pour défendre les valeurs de nos démocraties libérales, y compris au plan économique. Elle conclut que les crises actuelles de nos démocraties libérales devraient nous encourager à relire l'histoire, apprendre comment nos sociétés ont pu confronter leurs difficultés auparavant et en tirer les leçons pour notre temps.

À mon avis, avec l'arrivée du président Trump qui s'entoure pour son cabinet de membres du 1% et de l'alt-right, on ne pourra guère miser sur la première démocratie du monde, pour au moins les quatre prochaines années, pour relever la plupart des défis mentionnés plus haut. La ploutocratie qui s'installe à Washington s'assurera de s'enrichir encore plus en utilisant, sans restriction, les instruments du pouvoir. Il faut prévoir qu'elle rejettera le multilatéralisme et adoptera une défense bornée des intérêts américains.

Il faudra donc compter sur des pays comme le Canada et d'autres en Europe pour convaincre les populations que les valeurs de la démocratie libérale valent la peine d'être promues et encouragées. Le défi est de taille.

Souhaitons que des leaders avisés prennent le dessus sur ceux qui nous promettent un retour impossible et dangereux vers le passé.

* The Return of History, Conflict, Migration and Geopolitics in the Twenty-First Century, House of Anansi Press, 2016, 295 pages.

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